02. Mgr Jean-Baptiste de La Croix de Chevrières de Saint-Vallier
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Mgr de SAINT-VALLIER (1653-1727)
2e évêque de Québec, 1688-1727


NOTICE: Jean LeBlanc, Dictionnaire biographique des évêques catholiques du Canada : les diocèses catholiques canadiens des Églises latine et orientales et leurs évêques : repères chronologiques et biographiques 1658-2012, Montréal, Wilson & Lafleur, 2e éd., 2012, pp. 643-647.
Avec l’aimable autorisation de la Maison d’édition, 17 mai 2019.


Né le 14 novembre 1653 à Grenoble dans la province française du Dauphiné, dans une famille de 10 enfants (les La Croix étaient de bonne noblesse et de grands propriétaires terriens), il fit ses études classiques au collège des Jésuites de sa ville natale, et entra au séminaire de St-Sulpice de Paris où il obtint une licence en théologie en 1672. Nommé chanoine de Grenoble en 1675 et l’un des aumôniers ordinaires par quartier du Roi en 1676 sans avoir encore reçu le sacerdoce, il refusa rapporte-t-on durant cette période les évêchés de Tours et de Marseille proposés par Louis XIV. Ordonné prêtre en 1681 seulement, il consacra les loisirs que lui laissait sa charge à la Cour à la visite des hôpitaux, des paroisses et des prisons de Paris, et fonda en 1683 sur ses biens personnels un hôpital dans le diocèse de Valence. Choisi, malgré les objections de sa famille qui espérait davantage pour lui, par Mgr de Laval comme son successeur au siège de Québec (et aussi avec l’appui des Sulpiciens de Paris), il reçut la confirmation royale en avril 1685. Il arriva le 30 juillet au Canada à titre de vicaire général (le Saint-Siège ayant suspendu toutes les bulles d’investiture à cause de la querelle de la Régale entre Louis XIV et Innocent XI), visita l’Acadie en 1686 et, parti de Québec le 18 novembre, retourna en France le 1er janvier 1687. Les prêtres du séminaire de Québec, jugeant qu’il n’était pas à cause de son tempérament l’homme de la situation, firent des représentations auprès de Mgr de Laval qui lui demanda de se récuser, ce qu’il refusa, et ce qui ne put éventuellement manquer de laisser des traces dans les relations avec son clergé.

Élu le 7 juillet 1687 2e évêque de Québec, il fut sacré le 25 janvier 1688 en l’église St-Sulpice de Paris par Mgr Colbert, évêque titulaire de Cartagine et coadjuteur de Rouen, assisté de Mgr de Goyon de Matignon, évêque de Lisieux, et de Mgr de Bouthillier de Chavigny, évêque de Troyes, et prêta serment au Roi le 13 février. Arrivé à Québec le 31 juillet 1688, il prit possession de son siège le lendemain, et se rendit en Acadie en 1689, ce qui en fit le seul évêque de Québec à y faire une visite pastorale (qu’il trouva d’ailleurs fort pénible) durant les deux premiers siècles de l’histoire du diocèse. Il s’attacha à l’organisation de l’institution paroissiale, fonda l’Hôpital-Général de Québec en 1692, le monastère des Ursulines de Trois-Rivières en 1697, et fit construire le palais épiscopal (1693-1695). Mais, désireux de rétablir son autorité sur le clergé déjà minée par les exemptions des réguliers aggravées par les privilèges exorbitants accordés par Mgr de Laval au séminaire (de qui dépendait tous les curés), il dut retourner en France (1691-1692) pour faire arbitrer le conflit. On lui donna raison, limitant la mission du séminaire à la formation des prêtres (il préférait les sujets nés et éduqués au Canada aux ecclésiastiques venus de France et s’acclimatant plus difficilement) et à l’évangélisation des Indiens. Les curés seraient désormais inamovibles et garderaient le produit de la dîme, ce qui, plus que l’ancien système, était de nature à les attacher à leur paroisse ; il réorganisait ainsi son diocèse davantage à la manière des diocèses de France, et le nombre de districts paroissiaux doubla entre 1685 et 1721. D’où l’importance que prit la paroisse dans la structuration de la société, augmentée par l’absence en parallèle de gouvernement municipal.

Les nouvelles querelles qui surgirent en 1693-1694 avec le gouverneur Frontenac sur la représentation du Tartuffe, avec le gouverneur Callières de Montréal sur une question de préséance, avec les officiers de la garnison, le chapitre (encore les préséances), le séminaire, les communautés religieuses (Récollets, Jésuites, Soeurs de l’Hôtel-Dieu, Soeurs de la Congrégation) engendrèrent un état de quasi-rébellion qui l’obligea à aller de nouveau se justifier en France, sur ordre de la Cour, de 1694 à 1697. Invité cette fois à démissionner, il refusa. Un nouveau conflit survint en 1697 avec les Jésuites sur les missions du Mississipi, parce que des prêtres du séminaire de Québec étaient venus évangéliser les Illinois sur un territoire dont les Jésuites revendiquaient l’exclusivité.

Il dut encore une fois se rendre en France, quittant Québec le 13 octobre 1700 pour défendre sa cause, et aussi pour rétablir la dîme dans son institution première, soit la 13e partie des récoltes au lieu de la 26e. La Cour lui ayant donné raison contre les Jésuites, il quitta La Rochelle en juillet 1704 pour retourner au Canada, mais fut fait prisonnier en août près des Açores par les Anglais, qui capturaient les vaisseaux français à cause de la guerre de Succession d’Espagne opposant les deux pays. Il séjourna durant cette période dans la banlieue de Londres (succes­sivement à Deal, Rochester, Farnham et Petersfield), et ne quitta Southampton que le 9 juillet 1709. Le roi, le jugeant sans doute trop querelleur et conseillé par Mgr de Laval, ne lui permit cependant pas de retourner immédiatement au Canada, ce qui veut dire qu’en 39 ans d’épiscopat il en passa 18 en dehors de son diocèse. Revenu enfin à Québec le 17 août 1713, mais malade, vieilli, usé et fatigué, il quitta l’évêché pour s’établir à l’Hôpital-Général dont il fut aussi l’aumônier. D’autres querelles, moins violentes que les précédentes, ne manquèrent pas néanmoins de surgir avec le gouverneur Vaudreuil, le chapitre et le séminaire, sans cependant qu’il s’agisse nécessairement de conflits de personnes, mais plutôt de divergences de vues. Il mourut à l’Hôtel-Dieu de Québec le 26 décembre 1727, fut exposé sept jours en chapelle ardente, et ne fut inhumé à l’Hôpital-Général, presque secrète­ment, après une brève cérémonie célébrée dans sa chapelle, que le 2 janvier 1728. Les funérailles solennelles prévues pour le 3 janvier à la cathédrale avaient été annulées à cause d’un conflit entre les autorités civiles (l’intendant Dupuy, qui était son exécuteur testamentaire) et religieuses (le chapitre cathédral) sur des questions de préséance. Un service solennel avec oraison funèbre fut cependant célébré, en l’absence du corps, le 5 janvier dans la cathédrale.

Très pieux, aimant sincèrement les pauvres et de là parfois trop prodigue, même de ses deniers personnels (on a estimé à 200,000 livres les sommes consacrées à son diocèse provenant de son patrimoine familial), personnellement fort austère, exigeant pour les autres, il fit preuve d’un rigorisme et d’un pessimisme s’apparentant à une certaine forme de jansénisme moral qu’on a qualifié d’« augustinisme pratique ». Il demandait par exemple à ses curés de refuser l’absolution aux danseurs ainsi qu’aux fidèles refusant de payer la dîme (ce que Versailles désavoua comme excessif), aux femmes découvrant gorge et épaules, aux marchands et cabaretiers opérant le dimanche, et estimait que les fidèles fréquentaient trop souvent les sacrements sans modifier leurs habitudes ; mais il recommandait en revanche la confession et la communion au moins une fois par mois, et publia sans hésitation la bulle Unigenitus condamnant les erreurs de Quesnel. Il dénonça les excès du luxe et de l’intempérance, la danse et le théâtre, la vente de l’eau-de-vie aux Indiens, privilégia la discipline ecclésiastique, mais ne réussit pas toujours à empêcher l’immixtion du gouvernement dans les domaines de juridiction canonique. S’il fut un homme d’un commerce difficile, impétueux et de caractère impérieux, passionné et imprévisible, plus guidé par ses émotions et sa générosité naturelle que par des considérations rationnelles, trop susceptible, tyrannique aux yeux de plusieurs, à coup sûr autoritaire, intransigeant et maladroit, pos­sédant un sentiment exagéré de sa dignité, il fut aussi un bon administrateur, et il ne faut pas le peindre exclusivement sous ces noires couleurs, même s’il fut à bien des égards, comme le dit si bien Armand Gagné, « une sorte de génie de la discorde ».

Il fut un évêque zélé, préoccupé de la fonction sacrée du prêtre autant que des meilleures conditions d’implantation des cures pour enraciner solidement la vie paroissiale, et laissa une œuvre caritative majeure et un héritage pastoral important et permanent, dans une orientation centralisatrice destinée à implanter un catholicisme réformé et uniforme par un strict encadrement paroissial et un renforcement des prérogatives épiscopales : législation découlant de quatre synodes (Québec en 1690, 1698 et 1700, Montréal en 1694) ; catéchisme qui sera en 1765 le premier livre imprimé au Canada ; rituel qui marquera pour longtemps la pasto­rale québécoise en combattant la disparité et en promouvant un cadre uniforme des pratiques liturgiques ; questionnaire relatif à la visite des paroisses, donc volonté d’uniformité et de centralisation selon le projet tridentin. Il attachait en particulier au prône une extrême importance, y voyant l’outil idéal d’instruction des fidèles.

Il ne fut pas non plus un ambitieux, comme l’atteste sa prise en charge d’un diocèse éloigné, peu peuplé (quelques 10,000 colons et 100,000 Indiens peu chris­tianisés), couvrant pratiquement toute l’Amérique du Nord (vallées du St-Laurent et du Mississipi, Acadie, Terre-Neuve, Grands Lacs), avec les ressources d’une centaine de prêtres et d’autant de religieuses. Il visita régulièrement les commu­nautés religieuses ainsi que plusieurs parties de son diocèse, et fut le premier évêque de l’Amérique du Nord à faire une visite ad limina à Rome, où il fut créé assistant au trône pontifical le 1er novembre 1702, quittant Rome en février 1703. Il fut avant tout soucieux de mobiliser les énergies humaines et les soutiens financiers pour le projet canadien qu’il voyait, dans une perspective eschatologique, comme une cité idéale en devenir, un retour au christianisme pur des origines, ce qui le portait à survaloriser l’aspect iconique des mœurs amérindiennes. Il fut aussi un évêque de son temps, inséré dans un système gallican (il se vit reprocher par exemple d’avoir marié des militaires sans la permission du roi), qui favorisait les recours à Paris plutôt qu’à Rome, et qui dépendait financièrement de la Couronne, et c’est la raison pour laquelle il refusa toujours la division de son diocèse en vicariats apostoliques, ces derniers dépendant directement de la Propagande. Son arrière-grand-père Jean, devenu veuf à 50 ans, fut évêque de Grenoble en 1607 et y eut un de ses fils, Alphonse, comme successeur en 1619.

Devise : INDOMITUM DOMUERE CRUCES
Armoiries : ARC 85 (ce sont les mêmes que celles de sa famille ; voir : E.-Z. Massicotte, Armorial du Canada français, 1re série, Montréal, 1915, 24).
Iconographie : ARC 85

Mandements :

  • Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec. v. 1, 169-524, Québec, 1887.
  • Statuts, ordonnances et lettres pastorales de Mgr de Saint-Vallier évêque de Québec pour le règlement de son diocèse. Paris, 1903.
  • Aux habitants de l’Ile Percée : lettre circulaire de Mgr Saint-Vallier, évêque de Québec en 1686. RHG (1964) 215-218.

Œuvres :             

  • Estat présent de l’Église et de la colonie françoise dans la Nouvelle France. Paris, 1688.
  • Relation des missions de la Nouvelle France. Paris, 1688.
  • Status publiez dans le premier synode tenu à Québec le 9 novembre 1690. Paris ?, 1690.
  • Ordonnance… pour remedier à differens abus. Paris, 1691 ?
  • Ordonnance… touchant la modestie avec laquelle on doit assister à l’église, & les dispositions que l’on doit apporter à la sainte communion. Paris, 169- ?
  • Statuts publiez dans le second synode tenu à Ville-Marie le 10 & 11 de mars en l’année 1694. Paris, 1694 ?
  • Mandement pour les cas reservez du diocese de Quebec. Paris, 1694.
  • Statuts publiés dans le troisième synode tenu à Québec… Paris, 1698.
  • Catéchisme du diocèse de Québec. Paris, 1702.
  • Ordonnance… touchant… les missions des sauvages. S.l., 1702 ?
  • Rituel du diocèse de Québec. Paris, 1703.
  • Statuts, ordonnances et lettres pastorales… Paris, 1703.
  • Lettre pastorale… touchant… les missions des sauvages. S.l., 1703 ?
  • Deux lettres de Mgr de Saint-Vallier. Bulletin des recherches historiques (1968) 61-64.

Bibliographie : on se référera à la bibliographie compilée par A. Rambaud, DBC/2, 348-349, et à celle trouvée dans Oury, Monseigneur de Saint-Vallier et ses pauvres, op. cit. infra, 181-185, à compléter par :

  • Marchand, É. Les troubles de l’Église du Canada en 1728 : poème héroï-comique composé à l’occasion des funérailles de Mgr de Saint-Vallier. Québec, 1897.
  • Bibeau, H. « La pensée mariale de Mgr de Saint-Vallier », SCH (1966) 17-23.
  • Bibeau, H. « Le climat marial en Nouvelle-France à l’arrivée de Mgr de Saint-Vallier », RHA (1968) 415-428.
  • Lavallée, J.-G. L’atmosphère religieuse au Canada sous Mgr de Saint-Vallier. Thèse de maîtrise, Université de Sherbrooke, 1970.
  • Lévesque, J.-L. Le rituel de mariage de Monseigneur de Saint-Vallier, ses sources en France et ses survivances dans le nouveau rituel de mariage pour le Canada français. Thèse, University of Notre Dame, Ind., 1970.
  • Gagné, A. « Les premiers évêques de Québec vus par le Dictionnaire biographique du Canada », L’Église de Québec (1970) 107-108.
  • Plante, G. Le rigorisme au XVIIe siècle : Mgr de Saint-Vallier et le sacrement de pénitence, 1685-1727. Gembloux, 1971.
  • Plante, G. « Mgr de Saint-Vallier et la dévotion à Sainte-Anne », RHA (1970-71) 406-408.
  • Caron, A. T. De Québec en Acadie : sur les pas de Mgr de Saint-Vallier, avril-août 1686 : étude et plans. Québec, 1975.
  • Dixon, G.F. The episcopate of Mgr de Saint-Vallier, 1685-88 – 1727. Thèse de maîtrise, Université de Saskatchewan, 1979.
  • Deux apôtres marials : Mgr de Saint-Vallier, Mgr Ignace Bourget. Sillery, 1989 ?
  • Coates, C. « Authority and illegitimacy in New France : the burial of Bishop Saint-Vallier and Madeleine de Verchères vs the priest of Batiscan », Histoire sociale (1989) 65-90.
  • Scalberg, D.A. Religious life in New France under the Laval and Saint-Vallier bishoprics : 1659-1727. Thèse de doctorat, University of Oregon, 1990.
  • Oury, G.-M. « Les projets des missions monastiques de Mgr de Saint-Vallier », Cahiers des Dix (1993) 45-62.
  • Oury, G.-M. Monseigneur de Saint-Vallier et ses pauvres, 1653-1727. Ste-Foy, 1993.
  • Thomas, J.H. « Quebec’s Bishop as pawn : Saint-Vallier’s imprisonment in England, 1704-1709 », CCH (1998) 151-160.
  • Blouin, A. Les exigences pastorales de Mgr de Saint-Vallier envers ses prêtres, 1685-1727. Thèse de maîtrise, Université Laval, 1999.
  • Trouboul, J. L’idéal dans le discours de Saint-Vallier : État présent de l’Église et de la colonie dans la Nouvelle-France (1685-1686). Thèse (M.A., Histoire), Université Laval, 2000.

AUTRES NOTICES EN LIGNE

ÉCRITS

  • 1688 Estat present de l’Eglise et de la colonie française dans la Nouvelle-France, Par M. l’Evêque de Québec. A Paris, Chez Robert Pepie, 1688, 267 p. Lettre écrite au retour d’un voyage en Nouvelle-France (mai 1685 – 1er janvier 1687) à titre de Grand Vicaire de Mgr de Laval et évêque élu de Québec. Réimpression par Augustin Côté, Québec, 1856.

VISITES PASTORALES

1. À titre de Grand vicaire et d’évêque-élu de Québec

  • 1685 – Québec. Récit dans : Estat présent de l’Eglise (1688), 24ss.
  • 1685 – Mission Saint François-Xavier du Sault. Récit dans : Estat présent de l’Eglise (1688): 1re visite, 21 sept. 1685 : 167-170;  2e visite, oct. 1685 :170-176.
  • 1686 – Cap Tourmente / Côte de Beaupré / Ile d’Orléans, Récit dans: Estat prsent de l’Eglise (1688), 52-56.
  • 1686 – Montréal. Récit dans: Estat present de l’Eglise (1688), 56-73.
  • 1686 – Acadie (mai-août 1686). Récit dans:  Estat présent de l’Eglise (1688), 73-111.

PORTRAITS DES ÉVÊQUES ET ARCHEVÊQUES

Photographies des portraits des évêques et archevêques du grand salon de l’Archevêché de Québec sur les originaux conservés au Musée de la civilisation (Collection Archevêché de Québec). Huile sur toile sauf  :

  • Card. VACHON : photographie originale par Kdel (Québec).
  • Card. OUELLET : photographie originale par Studio Guy Raymond (Québec)