Card. TASCHEREAU (1820-1898)
16e évêque et 6e archevêque de Québec, 1870-1898
Cardinal, 1886
NOTICE[1]: Jean LeBlanc, Dictionnaire biographique des évêques catholiques du Canada : les diocèses catholiques canadiens des Églises latine et orientales et leurs évêques : repères chronologiques et biographiques 1658-2012, Montréal, Wilson & Lafleur, 2e éd., 2012, pp. 1073-1077.
Avec l’aimable autorisation de la Maison d’édition, 17 mai 2019.
Né le 17 février 1820 au manoir seigneurial de Ste-Marie-de-la-Nouvelle-Beauce, dans une famille[2] de sept enfants, il était fils de Jean-Thomas Taschereau, juge de la Cour du banc du Roi pour le district de Québec, et de Marie Panet, fille de Jean-Antoine Panet, président de la première Chambre d’assemblée du Bas-Canada, et nièce de Mgr Panet, 12e évêque de Québec. Il fit ses études primaires avec un précepteur, ses études classiques au séminaire de Québec (1828-1836), voyagea une année en Europe (Grande-Bretagne, Pays-Bas, France, Italie) avec l’abbé John Holmes, professeur au séminaire, et reçut la tonsure à Rome le 20 mai 1837. Il fit sa théologie, à son retour au Canada en septembre, au grand séminaire de Québec, tout en enseignant au petit séminaire comme il était coutumier à l’époque, et fut ordonné prêtre avec dispense d’âge dans sa paroisse natale le 10 septembre 1842 par Mgr Turgeon, évêque titulaire de Sidyma et coadjuteur de Québec. Nommé professeur de philosophie au séminaire (1842-1854), il y enseigna aussi l’astronomie, la théologie et l’Écriture sainte, fut membre du Conseil, et occupa les fonctions de préfet des études (1849-1854) et de directeur du petit séminaire (1851-1852). Il fut, entre autres avec l’abbé Horan, le futur évêque de Kingston, l’un des fondateurs de l’Université Laval en 1852. Envoyé en août 1854 aux études à Rome, où il fut le premier Canadien à résider au Séminaire Français, il obtint un doctorat en droit canonique de l’Apollinaire en juillet 1856. À son retour professeur de théologie et directeur du petit séminaire (1856-1859), directeur du grand séminaire (1859-1860), puis recteur de l’Université Laval et supérieur du séminaire (1860-1866), il devint à la fin de son mandat directeur du grand séminaire (1866-1869), puis de nouveau recteur de l’Université et supérieur du séminaire (1869-1871). Nommé vicaire général et examinateur des jeunes prêtres en 1862, il accompagna Mgr Baillargeon, évêque titulaire de Tlos et administrateur du diocèse, lors de son voyage à Rome en 1862, et encore en 1869 en qualité de secrétaire et de théologien alors que, devenu archevêque de Québec, il se rendait au Concile du Vatican. Il fut nommé administrateur du diocèse lors de la mort de Mgr Baillargeon en octobre 1870.
Élu le 24 décembre 1870 (selon un décret de la Propagande du 23) au siège de Québec, dont il devint le 16e évêque et le 6e archevêque, il reçut ses bulles et quitta définitivement le séminaire pour s’installer à l’évêché en février 1871. Il fut sacré le 19 mars dans la cathédrale de Québec par Mgr Lynch, archevêque de Toronto, assisté de Mgr Horan, évêque de Kingston, et de Mgr LaRocque, évêque de St-Hyacinthe, prenant possession de son siège le même jour, et recevant le pallium en mai 1872 dans l’église Notre-Dame de Montréal. Il fut nommé comte romain et assistant au trône pontifical le 16 mars 1875.
Créé cardinal par Léon XIII[3] le 7 juin 1886 au titre presbytéral de S. Maria della Vittoria, il reçut, à Québec, la calotte rouge le 29 juin et la barrette le 21 juillet, le chapeau à Rome le 17 mars 1887[4], et prit possession de son église presbytérale le 19. Malade, avec des facultés mentales considérablement affaiblies par une dégénérescence cérébrale progressive, il confia le 3 septembre 1894 l’administration du diocèse à son coadjuteur, Mgr Bégin, archevêque titulaire de Cyrene, et mourut à Québec le 12 avril 1898. Il fut inhumé dans sa cathédrale après les funérailles célébrées le 19 par le cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore. Il ne participera à aucun conclave.[5]
Il fut le premier Canadien à parvenir au cardinalat (pour des raisons politiques selon les uns, le gouvernement d’Ottawa, sur la recommandation semble-t-il du conseiller législatif Gédéon Ouimet, désirant créer une diversion à l’agitation nationaliste qui ne cessait de croître au Québec après la pendaison de Riel ; pour des motifs de rapports de force ecclésiastiques, selon les autres, ses partisans désirant renforcer son autorité contre l’aile ultramontaine de l’épiscopat québécois). [6]C’était un homme peu loquace (un « silencieux » selon le juge Routhier), réservé, autoritaire et même cassant, froid jusqu’à l’impassibilité mais aussi très accessible, d’une grande discipline personnelle se manifestant par un horaire immuable, et d’un style de vie presque monacal (on rapporte que lors de son premier voyage en Europe il voulut entrer chez les Bénédictins de Solesmes, attiré surtout par la vie d’études). Ordonné et travailleur, il avait horreur de perdre son temps. Il faut reconnaître que plus d’aménité dans ses rapports sociaux et un sens plus aigu de la communication lui auraient valu une réputation plus favorable. Éminemment cultivé (« mieux éduqué et plus instruit, a plus de bon sens et des vues plus larges que ses suffragants », selon l’archevêque de Toronto, Mgr Lynch), orateur simple, convaincu, peu porté aux grandes envolées, excellent pédagogue, polyglotte (il parlait aussi anglais et italien), grand épistolier, historien à ses heures, il a laissé une Histoire du séminaire et des traités d’architecture et d’astronomie restés inédits.
Pugnace, il ne manquait pas de courage personnel et de zèle apostolique, comme en témoigne son ministère en 1847 auprès des immigrants irlandais malades du typhus à la Grosse-Île, en étant lui-même affecté jusqu’à voir sa vie en danger lors de son hospitalisation à l’Hôpital-Général. Administrateur efficace, avec une conception toute personnelle du pouvoir (il n’établit pas de chapitre et ne convoqua pas de synode), il ne fut pas cependant un innovateur (il « administra son diocèse comme il dirigeait son séminaire », aux dires de l’abbé Gosselin), et son épiscopat en fut surtout un de consolidation, ce qu’on a qualifié de « catholicisme de position ». Il s’attacha plutôt à réglementer les rubriques (nouvelle édition de l’Appendice au rituel en 1874), la discipline ecclésiastique et l’administration paroissiale, abolit des coutumes surannées comme la distribution du pain bénit, le port du rabat et le chômage de certaines fêtes, consacra plusieurs mois par année à la visite de son diocèse, qu’il parcourut quatre fois au complet, encouragea les dévotions populaires, et établit les Quarante Heures en 1872. Il fonda un hospice, collabora activement avec les autorités sanitaires, érigea 40 paroisses et 31 missions (dans les régions de colonisation, qu’il favorisait fortement, afin d’enrayer l’émigration vers les États-Unis, qu’il jugeait motivée par un manque de prévoyance), présida trois conciles provinciaux (1873, 1878, 1886), ordonna 230 prêtres pour le diocèse, envoya en 1879 les trois premiers étudiants francophones au Collège Urbain de la Propagande dont tous les élèves canadiens provenaient jusqu’alors des diocèses anglophones, et confirma quelque 116,000 fidèles. Il s’opposa par ailleurs, contrairement au cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore, plus ouvert à un certain degré de sécularisation, au recrutement fait par les Knights of Labour, les considérant comme une société secrète, mais révisa (à reculons) sa position lorsque l’épiscopat américain réussit en 1887 à faire révoquer la condamnation du Saint- Office et obtint un tolerari potest.
Provenant d’une famille de tradition libérale (son père fut l’un des fondateurs du journal Le Canadien, interdit par le gouverneur Craig en 1810), et s’appuyant sur un conseiller très écouté, Mgr Benjamin Pâquet, il se montrait en tout très réaliste, savait attendre, et refusait les positions extrêmes (comme par exemple lors de la querelle des gaumistes au sujet de la présence des auteurs païens dans les programmes d’enseignement). Il s’avéra en matière politique généralement modéré et tolérant, au point de se faire accuser de faiblesse par le camp ultramontain des Bourget et Laflèche (et même par certains d’être gallican ou d’appartenir à la franc-maçonnerie !), et fut la cible préférée des journalistes ultramontains pour son peu de conviction dans la lutte antilibérale, parce qu’il ne considérait pas l’action pastorale comme une croisade idéologique. Il jugeait au contraire que l’intransigeance ne payait pas (d’où par exemple[7] sa pondération dans les grands dossiers de l’époque comme la réforme du Code civil, l’intervention du clergé dans la politique et les contestations d’élections devant les tribunaux civils, les biens des Jésuites ou encore les querelles entre les Sulpiciens et Mgr Bourget au sujet du démembrement de la paroisse Notre-Dame, ayant été nommé dans ce dossier commissaire apostolique en 1871). Il insistait en particulier sur le fait que l’Église n’avait pas à favoriser une forme de gouvernement ou un parti politique, que les partis Libéral et Conservateur devaient être considérés sur le même pied, qu’il ne fallait pas faire un à priori du soi-disant « radicalisme » des Libéraux, en un mot qu’on ne devait pas mettre l’Église à la remorque du Parti conservateur.[8] D’où sa circulaire du 24 avril 1871 dénonçant le Programme catholique, « formulé en dehors de toute participation de l’épiscopat », et son mandement du 25 mars 1876 écartant toute confusion entre libéralisme doctrinal et politique parce qu’on ne devait pas prendre pour vérité absolue ce qui n’était que matière d’opinion. On peut donc déceler derrière son attitude la marque indiscutable du catholicisme libéral et dans une certaine mesure du catholicisme social.
Agrégé dès 1842 au séminaire, où il passa une grande partie de sa carrière, il en favorisa l’expansion (formation des professeurs, développement de la bibliothèque, affiliation des collèges classiques), et en défendit farouchement les intérêts lors de la querelle opposant Québec à Montréal au sujet de la création d’une université dans cette dernière ville. Il partageait la crainte de ceux qui pensaient que la naissance de l’une serait la ruine de l’autre, et c’est la raison pour laquelle il délégua à Rome l’abbé Pâquet pour défendre les intérêts de l’Université, ce dernier y séjournant de 1873 à 1878, en 1886 et 1888-1889, y créant des liens étroits avec des prélats influents de la Curie. Mgr Taschereaut subit ultérieurement le blâme de ceux qui estimaient que par là il avait sérieusement compromis l’évolution culturelle de la métropole. Soucieux du progrès de l’éducation – il avait été membre du Conseil de l’instruction publique dès 1859 – il aida le collège de Ste-Anne-de-la-Pocatière lors de sa crise financière, et soutint la fondation du séminaire de Chicoutimi et du collège de Lévis. Il accueillit dans son diocèse, outre les Rédemptoristes, les Frères de St-Vincent-de-Paul et les Frères de la Charité, plusieurs communautés enseignantes comme les Clercs de St-Viateur, les Frères du Sacré-Coeur et les Frères Maristes. Il obtint le démembrement de son immense diocèse par la création du siège de Chicoutimi en mai 1878. C’est lui qui fit introduire la cause de béatification de Mgr de Laval à Rome en 1890. Une statue le représentant en cappa magna fut inaugurée le 17 juin 1922 sur la place de l’Hôtel de ville de Québec, en face de la cathédrale. Il était le frère de Jean-Thomas Taschereau, juge de la Cour suprême du Canada, l’oncle de Louis-Alexandre Taschereau, premier ministre du Québec de 1920 à 1936, avait deux autres neveux et trois cousins dans la fonction publique, et descendait de Louis Jolliet, dont la petite-fille avait épousé son arrière-grand-père, et par cette même femme, de Louis Hébert, dont elle était l’arrière-petite-fille. Il est fort regrettable qu’une biographie ne lui ait pas encore été consacrée.
Devise : IN FIDE SPE ET CARITATE CERTANDUM
Armoiries : ARC 100 ; HCC 202
Iconographie[9]: ARC 100
Mandements :
- Discipline du diocèse de Québec. Québec, 1879.
- Acta et decreta quinti concilii provinciae quebecensis… Québec, 1875.
- Acta et decreta septimi concilii provinciae quebecensis… Québec, 1888.
- Mandements, lettres pastorales et circulaires des évêques de Québec. v. 6-9, Québec, 1890-1898.
Œuvres : Remarques sur le Mémoire de l’évêque des Trois-Rivières sur les difficultés religieuses en Canada. Rome, 1882.
Bibliographie : on se référera à la bibliographie compilée par N. Voisine, DBC/12, 1114-1115, à compléter par :
- Routhier, A.-B. « Son Em. le cardinal Taschereau », dans : Les hommes du jour ; galerie de portraits contemporains. 9e série. Montréal, 1885.
- Auclair, E.-J. Figures canadiennes. Montréal, 1933, 22-30.
- Sylvain, P. « Les Chevaliers du travail et le cardinal Elzéar-Alexandre Taschereau », Mémoires de la Société royale du Canada (1973) 31-42.
- Gaudin, J.-R. « L’Église et la politique d’après le Cardinal Elzéar-Alexandre Taschereau (1820-1898) », Studia canonica (1974) 23-43.
- Villeneuve, R. « Place au cardinal Taschereau », Cap-aux-diamants (1986) 37-39.
- Voisine, N. « Elzéar-Alexandre Taschereau (1820-1898), beauceron, recteur de l’université Laval, cardinal… » dans : Mélanges offerts au cardinal Louis-Albert Vachon, Québec, 1989, 574-581.
- Dupuis, J.-C. Mgr Elzéar-Alexandre Taschereau et le catholicisme libéral au Canada français (1850-1898). Thèse (Ph.D., Histoire), Université Laval, 2006.
[1] La notice biographique est légèrement différente dans le Dictionnaire biographique des cardinaux de la première moitié du XXe siècle (1903-1958). Cependant, certains passages du DBECC y sont manquant.
[2] Le Dictionnaire biographique des cardinaux de la première moitié du XXe siècle (1903-1958) ajoute ici : « originaire de Touraine ».
[3] Le Dictionnaire biographique des cardinaux ajoute ici : « au consistoire secret ».
[4] Le Dictionnaire biographique des cardinaux ajoute: « au consistoire public du 17 mars 1887, et le titre de SS. Maria della Vittoria au consistoire secret du même jour ».
[5] Phrase absente dans le DBECC, ajoutée dans le Dictionnaire biographique des cardinaux.
[6] Le Dictionnaire biographique des cardinaux) ajoute ici : « Physiquement très prélat du XVIIIe siècle, … ».
[7] Le Dictionnaire biographique des cardinaux ajoute ici : « son opposition au Programme catholique de 1871 ».
[8] Dans le Dictionnaire biographique des cardinaux le paragraphe termine ici avec : « Nive Voisine a souligné à juste titre qu’il obtint lors de ces controverses l’appui du Vatican, malgré les rapports négatifs de deux délégués apostoliques spéciaux, Mgr Conroy en 1877-78 et dom Shmeulers en 1883-84. ».
[9] Le Dictionnaire biographique des cardinaux de la première moitié du XXe siècle (1903-1958) ajoute ici : MCH/photo gallery
AUTRES NOTICES EN LIGNE
- The Cardinals of the Holy Roman Church
- HAMEL, Thomas-Étienne), Le premier cardinal canadien : souvenir de 1886, Québec : Typographie d’Aug. Coté et cie, 1886 [i.e. 1887], 302 p.
- VOISINE, Nive, « TASCHEREAU, Elzéar-Alexandre », DBC, vol. XII
- YOUNG, Brian, Patrician Families and the Making of Quebec The Taschereaus and the McCords. Montreal and Kingston: McGill-Queen’s University Press, 2014, 452 p.
PORTRAITS DES ÉVÊQUES ET ARCHEVÊQUES
Photographies des portraits des évêques et archevêques du grand salon de l’Archevêché de Québec sur les originaux conservés au Musée de la civilisation (Collection Archevêché de Québec). Huile sur toile sauf :
- Card. VACHON : photographie originale par Kdel (Québec).
- Card. OUELLET : photographie originale par Studio Guy Raymond (Québec)